La ganaderia de Juan Pedro Domecq est la plus ancienne en activité avec une présentation à Madrid en date du 2 Aout 1790, du temps où elle appartenait à Vicente José Vazquez. L’élevage est passé depuis de mains en mains en passant par celles de Fernando VII, ce qui lui confère encore à ce jour le titre de ganaderia real, puis des ducs de Veragua pour être cédée à Martin, Alonso en 1927 et finalement être acquise par Juan Pedro Domecq de Villavicencio en 1930. Elle n’est plus jamais sortie de la famille, Juan Pedro Domecq y Diez en prenant les rênes en 1937, Juan Pedro Domecq Solis en 1978 et finalement Juan Pedro Domecq Morènes, quatrième du nom, depuis 2011.
Cette belle ancienneté et le maintien au sein de la même famille depuis quasiment un siècle, ainsi que les différentes réorientations de la sélection opérées par les ganaderos successifs font de cet élevage et de ses cahiers archivés une formidable banque de données sur la sélection du toro bravo.
Parmi les propriétaires successifs les deux derniers ont une place à part dans ce domaine.
Juan Pedro Domecq Solis, tout d’abord qui était non seulement éleveur et impresario mais également ingénieur agronome, avait décidé de faire évoluer le toro voulu par son père, caractérisé par une caste intégrale s’exprimant également du premier au dernier tercio vers ce qu’il nommait le toro artiste dont le comportement en piste devait répondre encore mieux aux attentes des figuras dans une époque où le caractère artistique du toréo gagnait en importance.
Aux fins d’affiner la sélection de son bétail il a mis au point, en collaboration avec l’université de Madrid, un programme informatique de sélection génétique qui prenait en compte 24 caractéristiques comportementales des toros et analysait les résultats produits par les croisements des divers étalons avec divers lots de vaches, sur la base des données de plusieurs générations introduites dans le programme en profitant des importantes archives à sa disposition.
Dans la même veine, c’est sous son impulsion qu’est créé le livre généalogique de la race bovine de combat en relation avec le ministère de l’agriculture.
Son fils, Juan Pedro Domecq y Morènes qui souhaite ramener un peu plus de caste, de puissance et d’humiliation dans les embestidas de ses toros a pris en main les destinées du fer principal en 2011, après s’être fait une légitimité par la gestion du fer de Parladé depuis 2003.
Il marche totalement dans les pas de son père en ce qui concerne le fait d’appuyer le processus de sélection sur une gestion assistée informatiquement des données de la ganaderia. Il travaille depuis plus de trois ans avec Nicolas Franco, docteur en physique et expert en intelligence artificielle au développement du projet « Bravo Data Base ». (cf articles de Patrice des 15 et 16 février sur Torofiesta)
Le projet s’appui sur les notes prises par lui-même, son père, son grand-père et son arrière grand père concernant l’ensemble des animaux lidiés. Informations concernant 40 000 toros sur un siècle … excusez du peu.
En plus de l’expérience et de l’intelligence de l’éleveur les prédictions de la machine concernant le comportement d’un toro prennent en compte le comportement de ses parents et de l’ensemble de son arbre généalogique.
Le mécanisme est celui du « machine learning », à savoir le regroupement des données en fonction de leurs similitude, réalisé par le logiciel en absence de toute intervention humaine. Ce travail, réalisé sur la base d’une cinquantaine de paramètres a pour but, tout en délivrant des prédictions statistiques de comportement, de définir des règles d’association fondées sur 7 à 10 paramètres, les plus pertinents pour définir le toro.
Ce modèle théorique qui n’est à ce jour qu’en début de phase expérimentale a notamment pour ambition de ramener à terme dans la boucle de la sélection des animaux qui jusque là étaient voués au desecho sur la base d’une analyse limitée au comportement visible de l’animal et à celui de ses parents, niveau de profondeur d’analyse à portée de la majorité des éleveurs.
Ganadero et mathématicien s’accordent à dire que le procédé sera forcément limité dans la mesure où il restera toujours des impondérables susceptibles d’influer sur le comportement du toro, mais également du fait que ce qui cherche à être prévu est d’un ordre moins facilement modélisable que ce qui pourrait l’être par exemple dans le cas de l’élevage de bêtes à viande.
Par ailleurs face à une probabilité de résultat ce sera toujours le ganadero qui prendra la décision. Et naturellement ce que recherche chaque éleveur sera différent de l’un à l’autre et peut-être également dans le temps.
Nous ajouterons que le résultat de la lidia repose bien sur sur le comportement du toro, mais également sur celui du torero. Et à moins d’appliquer le même procédé de sélection au protagoniste humain, ce qui ne choquerait d’ailleurs peut-être pas tout le monde, il restera encore une part de mystère et d’imprévu dans la corrida.
Rassurons nous en pensant que, comme nous l’ont enseigné nos parents et nos grands parents, on pourra longtemps encore dire: « los toros son como los melones »
Laisser un commentaire