De Walt Disney à la tauromachie

De Walt Disney à la tauromachie

Frédéric Saumade se présente comme torero perspectiviste, c’est-à-dire anthropologue.
Torero, personne qui affronte, combat le taureau selon les règles de la tauromachie.
Perspectiviste. La notion est plus complexe. S’il s’agit de la représentation en perspective, telle que la définissent les dessinateurs, on peut parler du passage du simple schéma en deux dimensions à une représentation plus en phase avec la réalité de ce que l’œil perçoit. Sur un plan plus figuré, la perspective de pensée dans laquelle on se place désigne le modèle auquel on se réfère, en lien avec sa propre position socio-historique. D’où l’idée que la réalité n’est pas unique et figée mais composée de la somme des différents points de vue d’où elle peut être observée.

Concernant la tauromachie, l’anthropologue combat l’ignorance, l’incompréhension et l’obscurantisme au moyen des armes que lui fournissent les sciences humaines et les sciences naturelles. Ces armes lui permettant de dépasser les représentations simplistes ou subjectives pour s’approcher du réel et de faire la part de ce que les différents paradigmes mis en avant par les débatteurs habituels, pro et anti, apportent où retranchent à l’objectivité du débat.

Le sous-titre, « Elégie pour une mythologie animalière », nous parle aussi de la souffrance, de la mélancolie et de la plainte de l’amoureux de la nature, des animaux et de la relation de l’Homme à l’animal dans ce que l’histoire des différentes espèces a construit depuis des millénaires.
Il y a par instant des accents flamencos dans cet ouvrage. 

Les nombreux aspects paradoxaux de la problématique sont analysés par le menu. A commencer par le fait qu’animalistes anti taurins et partisans de la tauromachie présentent une communauté remarquable de préoccupations dans le domaine des relations de l’homme aux animaux et plus généralement à la nature et un recours commun aux représentations anthropomorphiques qui font de ces deux positionnement des siamois ou, si on préfère, les deux faces d’une même pièce.
Paradoxe de la communauté du mythe du taureau et de ses rapports à l’Homme que partagent souvent aficionados et anti-taurins. Paradoxe du fondement du thème aussi anthropomorphique qu’animaliste de Ferdinand le taureau qui dès son apparition en Catalogne se construit sur des éléments de la culture taurine. Paradoxe de la revendication d’une communication inter-espèces entre humains et animaux posée sur la base d’un corpus idéologique soutenu par une argumentation issue des sciences humaines qui nie l’élevage comme vecteur privilégié de cette communication. Paradoxe de la tauromachie qui fait s’accoupler en permanence tragédie et comédie, célébration et charlotade.
Le torero perspectiviste nous donne à mieux comprendre ces différents paradoxes en les plaçant dans le contexte de la civilisation occidentale dans sa complexité et en variant le ton de son propos de façon aussi opportune qu’agréable.

L’auteur s’attache à démontrer l’injustice faite à l’élevage, tout du moins dans sa forme pastorale, qui loin de dégrader l’environnement et les relations de l’être humain aux animaux constitue un véritable pont entre animaux et humains, tout comme, au passage, entre ruraux produisant les animaux et urbains les consommant que ce soit par l’alimentation, l’artisanat ou par le biais du spectacle.

Bien que le langage soit accessible il est facile de constater que la démarche est scientifique, ne serait-ce que par l’abondance des notes de bas de page référençant et documentant le propos. Il y a aussi cette façon de critiquer, au sens noble du terme, tant les positions défendues par les scientifiques auteurs d’ouvrages antitaurins que certains arguments avancés par leurs alter-égos défendant la position inverse. C’est ce que l’on peut dire en tous cas du livre I : L’état de l’art.

Le livre II : Tempus fugit ne dis bien sûr pas autre chose. Le changement d’ambiance est cependant radical. Le scientifique omniprésent jusque là s’efface un peu devant l’aficionado et l’humaniste – pléonasme, il va sans dire. Il s’agit là d’illustrer le propos précédent en montrant en quoi un certain nombre de figures réelles ou mythiques de l’histoire et de la culture taurine répondent aux thèses anthropologiques détaillées et analysées précédemment.

Le panthéon des personnages les plus essentiels de Frédéric Saumade, concernant la tauromachie rejoint dans bien des cas le nôtre et provoque chez le lecteur, comme chez l’auteur autant l’émotion que la réflexion.

Citons la ville de Séville, la sociologie subtile du campo andalou, les codes de l’aficion sévillane, Damaso Gonzales, Claude Saumade, Bernard de Montaut-Manse, Jean Lafont, les bullfighters du rodéo américain, les toreros artistes au premier rang desquels Curro Romero, Antonete, Raphael de Paula et le français Curro Caro, d’autres toreros comme Gitanillo de Paris, Manolo Montoliu, et côté taureaux, Islero, le cocardier Samouraï ou Lou Paré et le fils du gardian Plume.
Et puis il y a la galerie de la mythologie du manso-bravo qui part de l’histoire bien réelle du taureau Civilon qui naquit dans le début des années 30 dans la ganaderia de Juan Cobaleda, à Salamanque, fut combattu et gracié en 1936 à Barcelone et dont l’histoire servit de prétexte au conte « Ferdinand the bull » écrit par Munro Leaf et illustré par Robert Lawson en 1936 à New York avant d’être reprise par Walt Disney et de subir au fil du temps des évolutions en phase avec celles de la perspective sous laquelle les rapports entre les humains et les animaux sont envisagés dans nos sociétés occidentales. Mythologie au sein de laquelle on retrouve également Superman et Zorro. Sans oublier le « taureau fidèle dont le nom n’était pas Ferdinand » d’Ernest Hemingway, qui aimait les chats, qui constitue une inversion point par point de la figure du conte de Walt Disney montrant l’autre face de l’éternelle inspiration réciproque de l’homme et de l’animal.

L’ouvrage prend fin sur la réponse à la question de la dette du sang animal et de la meilleure façon de la payer pour l’homme.

Un ouvrage de fond, dans un style vif et agréable le rendant aisé à lire et à relire auquel de nombreuses occasions de se référer nous seront sans doute offertes.

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