Marcel Serda, culture et ethique en aficion

Marcel Serda, culture et ethique en aficion

Marcel Serda porte en lui une aficion ancrée, atavique, résiliente, profonde et réfléchie, avide de s’exprimer, de transmettre ses valeurs.
Il est né à Mont de Marsan. Lou Moun est, tout le monde vous le dira, un lieu où l’aficion vous guette d’un œil tendre lorsque les hasards de la vie vous y font naître.
Pour autant tout aurait pu s’arrêter assez vite, voire ne pas commencer du tout.
Jusqu’à l’âge de dix ans, tout ce que Marcel a eu à connaitre de la tauromachie ce sont les courses de vaches landaises. L’entrée en matière est de qualité pour une première appréhension de la confrontation de l’homme au toro mais il manquait le déclic qui allait donner naissance au gusanillo.
A dix ans Marcel se trouva, un matin de corrida, dans les corrales des arènes de Saint Sever.
Nous sommes dans les années soixante-dix, un an après la première manifestation des toreros français dans ces mêmes arènes. Et le voici dans ce lieu où le visiteur n’est que peu admis, notamment du fait de la très grande proximité au toro.
Saint Sever est une arène d’aficion plutôt toriste et d’opportunité. Ce jour-là c’est un satané petit ver qui nous habite tous qui a trouvé l’opportunité de venir nicher au tréfonds de l’âme de cet enfant.
Un demi-siècle après, Marcel parle de la fascination que lui inspira immédiatement le toro de combat. Il dit avoir été subjugué par tout ce que l’animal transmet par sa seule présence.
Le germe du petit ver tenace de l’aficion était planté, le vermisseau, bien abrité dans son cocon pouvait attendre tranquillement le temps de l’éclosion.
Brassens parle des pays imbéciles où jamais il ne pleut. Marcel a longtemps arpenté les pays incongrus où jamais on ne célèbre de corrida.
C’est près de trente ans plus tard qu’ayant acheté une maison à Roquefort, il revit une affiche de corrida.
En cette aube du vingt et unième siècle la tauromachie devint pour lui un média de communication et un lien, à la fois puissant, intime et en partie exclusif avec son père, avec qui il se mit à arpenter toutes les arènes de la région.
Pas tout à fait exclusif parce que Marcel fréquenta à d’autres périodes de sa vie le milieu de l’aficion parisienne et fit des rencontres d’importance, notamment pendant ses voyages en Andalousie. Le personnage qu’il cite le plus spontanément étant Hervé Galtier.
Mais quand il parle de cette époque on sent bien que la rencontre qui l’a le plus marqué fut celle d’une belle andalouse, au parfum d’orangers, douce et alanguie, vêtue de blanc et d’or, parée de fleurs, élégante, raffinée, distante, désirable et prête à se donner à celui qui la comprendra. Tous ceux qui la connaissent l’ont reconnue. Marcel est tombé amoureux de Séville.
On ne peut pas parler d’une faute de goût.
Son parcours en aficion est peu important, si on compte en années, et quelque peu erratique.
Il n’en est pas moins d’une grande force par plusieurs aspects.

Le lien avec le père tout d’abord. C’est avec son père qu’il allait voir les corridas dans la région de Roquefort. C’est lorsque celui-ci est parti que Marcel a perdu le chemin des arènes, n’ayant plus personne avec qui y aller.
C’est en pensant à lui qu’aujourd’hui encore Marcel s’interroge, lorsqu’il voit une corrida, sur le message que son père a voulu lui laisser et voit dans le combat et la mort du taureau une métaphore de ce que fut la vie de son père.
Ceci est, me semble-t-il, pour beaucoup dans la dimension de transmission par laquelle son aficion s’exprime avant tout aujourd’hui.
Et puis, nous entrons tous en aficion par une porte différente. Le petit Marcel, à dix ans, y est entré par celle de l’émerveillement devant le toro de combat. Ce cocktail de merveilleux et de lien, même encore inconscient, avec un mythe plurimillénaire ne pouvait que constituer le plus puissant des ancrages à une aficion qui, nous le savons, allait longtemps sommeiller pour se réveiller le moment venu dans toute sa puissance.
La tauromachie est une affaire d’hommes. (ndlr : j’écris en français, le masculin vaut neutre)
Le parcours en aficion de Marcel est parsemé de rencontres. Maurice Berho et Hervé Galtier, par l’accès qu’ils lui ont donné au campo et l’opportunité concrète sont ceux qu’il cite le plus, peut-être parce que ce sont eux qui lui ont ouvert la voie de la pratique de la tauromachie.
Enfin il y a dans la tauromachie une dimension romantique indéniable que Marcel a vécue dans son âme lorsqu’il est tombé amoureux de Séville.
Tout ceci contribue à nourrir une aficion embrassant beaucoup de dimensions de la tauromachie.
Marcel en parle avec précision et avec cette pointe de modestie très répandue chez les aficionados practicos qui sont très bien placés pour savoir qu’ils ne savent pas grand-chose, même s’ils en savent beaucoup plus que la majorité de ceux qui croient savoir.
On s’en doute, pour lui, Le toro est au centre de tout. « Sin toros nada tiene importancia » clamait, en son temps, une banderole brandie par le tendido 7. Marcel est d’accord bien sûr, mais beaucoup plus nuancé et universel. Il aime tous les toros, quelle que soit leur tendance comportementale, à condition qu’elle soit un mix de force, de noblesse et de caste.
Il admire autant les qualités de combattant des plus vaillants belluaires que le sens artistique des figuras les plus élégantes, sans ignorer qu’il y a toujours une part importante de l’un dans l’autre et vice versa.
Pour lui, cesser de donner la mort le plus dignement possible au taureau en public serait un reniement. Il voit dans ce spectacle la mort d’un être brave qui lui donne une leçon de vie.
Son expérience de practico lui permet de mieux voir le bétail, et de mieux comprendre le travail des toreros. Il parle de chacun des tercios sous l’angle de leur nécessité et de ce qu’ils apportent au spectacle de la confrontation de l’homme au taureau.

Mais ne « spolions » pas. Marcel est en train d’apporter la touche finale à un essai sur la tauromachie intitulé « Eloge de la mauvaise foi » qui en dit beaucoup plus long et beaucoup mieux que moi sur ce qu’il a envie de transmettre de son aficion.
L’ouvrage est dédié à son père et nous donne en outre à voir une autre facette de son talent, les illustrations étant des dessins, croquis et aquarelles de l’auteur. De cela nous reparlerons en temps et heure.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.