Eloge de la mauvaise foi

Eloge de la mauvaise foi

De quelle foi parle-t-on ? Celle en le taureau, pour être plus précis en le toro bravo.
Le titre emprunte ici à l’expression provençale « Fé di biou » qui évoque la ferveur, tandis que le terme espagnol, plus léger, d’aficion, ne fait référence qu’au penchant, au goût de l’amateur pour un certain objet, au mieux, pour certains traducteurs enthousiastes, à la passion.

Il n’y a là aucun contresens, aucune facilité destinée à user d’un titre en forme de jeu de mots. Juste la prise en compte d’une réalité, aussi tangible d’un côté que de l’autre des Pyrénées et même de l’Atlantique. Et d’ailleurs les espagnols célèbrent les corridas.

La « mauvaise » foi dont il est question est celle que l’aficionado a en la magnificence du taureau, que l’historien Michel Pastoureau qualifie de probable premier Dieu des hommes. La défense prend ici la forme d’un vibrant éloge en faveur du corpus rituel que constitue la tauromachie, dans sa version espagnole, et de ses acteurs.

Soyons très clair Marcel Serda n’est pas le premier à se colleter à cet exercice de défense de ce que quelques-uns de nos contemporains croient indéfendable. Et l’auteur de ces lignes est très loin d’en être à sa première lecture de ce type.

Le pitch est le dialogue avec un futur beau frère en guise de viatique à l’intrusion dans sa famille de cet aficionado, sauvage avide de sang et resté à l’âge des cavernes, dont le destin a fait qu’il soit le frère de sa future épouse.

Il s’agit donc tout à la fois de donner à voir à ce « beauf » la réalité de ce qu’il condamne à priori, la beauté autant matérielle que spirituelle, de ce que ce spectacle donne à voir ainsi que la noblesse du taureau et de ses adversaires de l’arène.
A noter que Marcel n’aurait quant à lui jamais usé de cette qualification injurieuse de beauf, inventée par le très anti-taurin Cabu. Marcel est aficionado à los toros. Il est donc fin, nuancé et surtout respectueux. Il suffit de le lire pour s’en convaincre.    

Le lecteur découvrira ce voyage dans le monde si particulier de la tauromachie et d’une après-midi d’été aux arènes avec autant de plaisir que d’intérêt. On ne sait de quoi se délecter le plus, de l’écriture et du style ou du fond.

La tauromachie est un humanisme. Avec Marcel Serda c’est un humaniste qui vous le dit. Sans fioriture, sans recours immodéré à la philosophie, l’anthropologie, l’éthique, l’esthétique ou la métaphysique. Tout simplement avec sa sensibilité, sa culture et son ouverture d’esprit.

Bref l’auteur n’a pas besoin de justifier de sa qualité d’intellectuel par le haut niveau de ses références. Son style fin et élégant qui vous fera avaler les 70 pages de son essai avec un plaisir d’abord lié à la forme est sa meilleure référence. L’élégance de la forme littéraire va avec celle de la pensée, jamais agressive, jamais militante. Le ton aussi est juste.
Il y a aussi un peu de malice dans la forme. Un certain nombre d’auteurs, aficionados à la manière dont monsieur Jourdain est prosateur, sont également convoqués, aux côtés d’autres, plus attendus comme Hemingway ou Belmonte, pour appuyer le propos et nous parler du combat des toreros et des toros qui foulent le sable des arènes pour nous dévoiler leur vérité.

Ainsi Victor Hugo nous rappelant que « le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre » ou Héraclite d’Ephèse nous disant ce qui se joue dans l’arène : « Le combat est père et roi de tout. Les uns, il les produit comme des dieux, et les autres comme des hommes. Il rend les uns esclaves, les autres libres » et même Alfred de Vigny qui savait visiblement qui sont les détenteurs du secret de la vie et de la mort : « Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, c’est vous qui le savez, sublimes animaux ».

Bref cet ouvrage est un délicieux, mais néanmoins très précis et très détaillé plaidoyer en faveur de la tauromachie, simplement basé sur la réalité de ce qu’elle est.

La simplicité de l’argument nécessitait tout à la fois une réelle expertise tauromachique un grand talent littéraire, une culture universelle et un sens artistique que les dessins et aquarelles de l’auteur, qui illustrent le tout, soulignent.

Personnellement je n’ai jamais rien lu de meilleur en fait de texte venant en explication et en défense de la tauromachie.

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